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Carnaval

Malo les Bains - mars 2017

Peux-tu nous parler du contexte dans lequel ont été faites ces prises de vue ?

C’est à l’editing que la construction de cette série s’est faite. En découvrant les photos après développement

de la pellicule, j’ai trouvé que les moments où j’étais parvenue à rentrer dans la foule étaient

très intéressants, que le rapport à la violence et à la joie mélangées était très fort. Cette chose-là m’a

toujours impressionnée et c’est ce que j’ai essayé de retranscrire à travers ce choix d’images. Cette

énergie masculine violente et forte.

Une énergie brutale, tactile ? Lorsque tu étais au milieu de cette foule, comment te sentais-tu ?

Moi ? J’avais peur.

Oui je veux bien te croire.

On voit beaucoup d’hommes habillés en femmes sur tes images. Et les femmes comment sont-elles

habillées ?

Les femmes, elles, ne sont pas habillées en hommes. Elles sont plus déguisées en clowns ou en

n’importe quoi, tandis que les hommes se déguisent en femmes. Ou plutôt, la façon dont ils se

représentent la femme et le désir qu’ils en ont. C’est ce qui m’a intéressée : la perception qu’ils ont

des femmes.

Une représentation faite de bas résilles et de gros seins !

Oui Il y a un côté populaire, très grivois.

Ce qui ressort dans l’ensemble des photos choisies est que l’on se déguise en un autre très différent

de soi, presque à l’opposé de soi. Et dans cette constatation, c’est assez drôle de voir que les hommes

se déguisent en femme comme si ce qui était le plus loin d’eux était les femmes.

Le carnaval est l’occasion de se mettre dans le costume d’un autre, de s’approprier cet autre.

Ici, lorsque les hommes se déguisent en femme, on sent très bien qu’ils ne veulent pas être une

femme, ce n’est pas du tout se mettre dans le corps des femmes.

Selon toi, ils cherchent à se moquer ?

On peut lire ça comme ça. En tout cas, je n’ai pas l’impression qu’il s’agisse ici de chercher à mieux

connaitre l’autre. Ces hommes cherchent à se représenter autrement, pas nécessairement pour comprendre

cet autre en mettant son costume, mais en portant le féminin en dérision par exemple.

J’ai l’impression que sont mis en rapport des notions de dominant dominé. Si l’on regarde ces photos

attentivement, on remarque que les déguisements choisis sont des costumes d’indiens, de femmes,

de zoulous…

Ce qui revient dans toutes ces images, c’est la différence et sa stigmatisation. Le déguisement vise

aussi à détourner les influences maléfiques. Le lien est facile à faire, mais ce n’est pas dénué de

sens.

Je veux dire qu’ils pourraient très bien s’habiller en tyroliens ! Mais non, ils choisissent de s’habiller

en zoulous ! Il faut être autre, et surtout que cet autre soit loin de soi. Ici, se déguiser, c’est perdre

son individualité et son identité. C’est tout.

Finalement perdre son identité, c’est aussi s’en libérer, et ainsi pouvoir tout se permettre.

Oui bien sûr ! D’où cette beuverie générale ! Mais c’est une caractéristique du carnaval de Dunkerque.

Se lâcher, perdre son identité, glisser en dehors de ses propres limites.

On dit d’ailleurs que ce qui est vécu au carnaval reste au carnaval.

Oui, et de ce que je sais, dans le monde entier cela se passe de la même manière. Être un autre, me

cacher derrière un masque, me laisse libre de réaliser tous mes fantasmes sans être jugé par ma

communauté, cela parce que je deviens étranger, pour un temps seulement...

Nous avons abordé l’exemple du différent dans les costumes mais il y a aussi pour certains la volonté

de se mettre dans la peau d’un personnage qu’ils admirent. Lors de l’un de mes premiers passages

au carnaval de Dunkerque, je me souviens avoir assisté à une scène où deux hommes d’une cinquantaine d’années se saluaient avec énormément de respect, l’un était Superman et l’autre le Capitaine Crochet ! Ils avaient une admiration réciproque pour leur personnage et cela se sentait très fort dans leur manière de se dire bonjour.

Ce n’est pas ce visage-là du carnaval que tu as cherché à nous montrer dans tes images. Qu’est-ce

que tu as voulu mettre en avant alors ?

La violence de voir un petit garçon déguisé en zoulou d’il y a trois siècles, une caricature en quelque

sorte, et celle des hommes ensemble, de l’alcool, de toutes ces choses-là très bruyantes, et très

claniques aussi.

Est-ce que c’est une rencontre de l’autre qui a échoué ?

En tout cas, c’est pour moi un constat d’échec concernant la manière qu’ont ces gens de voir l’autre.

La représentation qu’ils donnent à voir de l’étranger est accablante.

Je ne veux pas juger ni montrer du doigt. J’ai juste voulu retranscrire la violence que j’ai perçue dans

leur manière d’être ensemble, de pratiquer une tradition. Et cela avec un esprit clanique qui t’exclut si

tu n’es pas des leurs. C’est quelque chose qui se rapproche du monde de certains forains.

Une partie de ta famille est foraine d’ailleurs ?

Oui. Ce qui rapproche ces gens des forains, c’est qu’il y a un rapport très fort au clan, donc à l’exclusion.

Enfin on ne va pas parler des forains non plus. Je ne vais pas raconter ma vie.

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